SUR ECOUTE






    RADIO

Les lieux les plus prestigieux de l’action sonnante, les acteurs sonores les plus compétents, la transparence acoustique des climats écoutés ne constituent pas a priori des espaces heuristiquement ou pédagogiquement plus féconds que d’autres.[1] 
Récemment, l’Atelier Expérimental s’est saisi des problématiques soulevées par les événements en cours de préparation dans la région, notamment la mise en lumière de Lars Fredrikson dans la première rétrospective d’ampleur dont bénéficie cette figure du son en art. La réémergence soudaine d’un profil artistique clef dans l’histoire de l’enseignement du son – il est le premier à avoir mis en place un studio son à vocation plastique dans une école d’art – et de sa monstration, interroge aussi la nature des réseaux traditionnels de l’« exposition sonore », de son marché, et de la visibilité de ses acteurs. La proposition d’Isabelle Sordage de création d’un véritable réseau du son plastique, sous la forme d’une « webradio », a pour vocation de remettre au premier plan la pratique sonore, et de permettre aux artistes, confirmés ou non, d’explorer un nouveau type de plateforme d’écoute.
Il ne s’agit pas seulement d’offrir aux « oubliés » de l’art sonore un lieu d’expression, mais de générer un outil d’émulation, de mise en commun et d’échange entre praticiens parfois isolés. L’idée est bien de mettre en regard des approches sonores à travers l’histoire, et leurs continuités contemporaines dans leur diversité, ou parfois leurs similitudes formelles. La volonté du projet de l’AEradio d’entrer en collaboration avec des institutions pédagogiques, notamment les écoles d’art, vise à fédérer des pratiques qui parfois se précisent durant les années d’études et ne reçoivent pas toujours l’attention et la compréhension dont elles pourraient faire l’objet. L’AEradio se concrétisera comme le prolongement d’une communauté concrète (l’Atelier Expérimental) vers une communauté d’écoute en réseau. Dans cette mesure, elle se place dans le sillage d’autres projets nés localement[2], mais dans le domaine plus ténu du son plastique.
Le projet l’AEradio émane d’un souci politique qui touche à la réception des pratiques sonores. Il devrait à terme permettre de court-circuiter les formats traditionnels de l’exposition pour proposer au spectateur/auditeur la possibilité de construire sa propre écoute. La transversalité de la diffusion radiophonique et du partage en réseau met à mal les problèmes d’ « horizontalité » de l’accessibilité de l’expérience sensible. Si ce lâcher prise vis-à-vis des institutions artistiques de monstration semble être celui de la libération de l’écoute, il n’en est pas pour autant un encouragement à la consommation sonore ou à l’écoute passive. L’AEradio place au centre de ses préoccupations la notion de choix, prérequis de taille à toute séance d’écoute. Cette insistance sur la décision et le temps de l’expérience, sur l’effort d’attention qu’ils nécessitent, est la garantie pour l’AE de s’adresser à des écoutants qui conservent sur leur acte d’entendre l’ascendant de leur décision et de leur esprit critique.
Ce format d’écoute est aussi un moyen de défier les conventions de ce qui est « communicable », de détourner les attentes d’oreilles musicales ou peu sensibilisées à l’approche plastique sonore. Cette donnée est assurée par l’expérience même de la radio, dont l’ « autosuffisance » sonore ne serait pas supplantée par des illustrations, indices ou témoins visuels habituellement rencontrés dans les cadres d’expositions. Ici, le commentaire ne vient pas polluer l’expérience. L’idée d’une écoute aveugle encourage également à aller à l’encontre du rapport traditionnel entre sujet et média. Le cadre de la quotidienneté, de l’intimité offerte par le lieu de diffusion envisagé – c’est-à-dire chez l’auditeur -, inscrit l’œuvre dans une temporalité qui en assure l’ « appropriation » sensible, active. L’AEradio cherche à redonner à la quotidienneté l’attention de l’instant. Les œuvres d’art sonores confrontées à cet espace intime lui font quitter le régime de la distraction pour celui d’une écoute consciente. Cette écoute, « anonyme » dans la réception, n’est pas contaminée par les attentes, les codes et les contraintes sociales des lieux publics, et, sans pour autant dénaturer les données du quotidien - qui en seront seulement légèrement déformées – réintégrera le sensible dans le champ domestique.
Les contributions qui viendront nourrir le projet de l’AEradio l’alimenteront d’une réflexion sur leur propre statut, en proposant de faire œuvre commune : commune chez les artistes, qui sont les acteurs à part entière de la programmation et sont invités à proposer des pièces sur le mode de l’écho – écho plastique, protocolaire, ou tout simplement thématique -, voire des pièces collectives ; commune aux artistes et aux auditeurs, ces derniers étant les « dépositaires » d’une écoute individuelle et précise dont ils auront la responsabilité de la mise en forme - l’auditeur travaille aussi chez lui. Ainsi, les pièces proposées par l’AEradio varieront en fonction de leur lieu et de leur mode de diffusion. La temporalité des live encouragera le rendez-vous privilégié et ponctuel avec des œuvres produites spécifiquement pour l’AEradio. Le flux sonore continu, sans programme communiqué, n’obligera pas l’auditeur à un engagement complet : il sera lieu de rencontre fortuite avec des propositions plastiques quasi anonymes. Enfin, un espace documentaire envisagera l’écoute d’expérimentations plus libres, de conférences, de poésie sonore ou de sons trouvés, dans la volonté donner corps à une plateforme d’archives retraçant aussi bien les processus créatifs que leur commentaire, leur analyse, leurs « ratés ».
L’AEradio tâchera de valoriser le travail d’artistes dont les pratiques sonores formeront naturellement le cadre de leur monstration. Elle impulsera également une réflexion de fonds sur le statut de ces derniers, en offrant une place centrale à une rétribution juste et au respect du droit d’auteur. Le format « webradio », qui n’est pas une programmation radiophonique traditionnelle, n’est quant à lui qu’un prétexte pour aller à l’encontre des attentes du spectateur.

Léa Dreyer septembre 2019
 
 
[1] Patrick Romieu, « Désenchanter le sonore : quelques considérations sur les méandres inférieurs de l’écoute », in FABUREL, Guillaume (et al.), Soundspaces : espaces, expériences et politiques du sonore, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, pp. 236-7
[2] Locus Sonus[2], plateforme pionnière de l’écoute en réseau dont l’un des créateurs, Jérôme Joy, a été enseignant au studio son de la Villa Arson.




    ACTIVITES
    SONORES





Son / écoute/ radio / créations

PRATIQUES SONORES

Éléonore Bak / Ludovic Lignon / Kaffe Matthews / Jérôme Joy
 /  Cécile Beau / Pali Murseault /  Olivier Féraud / Christophe Boursault / Gaël Navard / Christoph Rothmeier / Gilles Mottet et Nathalie Négro /  DinahBird / Isabelle Sordage  / Luc Kerléo / Pierre Laurent Cassière / APO 33 / Yvan Etienne / Emmanuel Holterbach / Eliane Radigue / Rhodri Davies / Robin Hayward / Charles Curtis / Carol Robinson / Stephania Becheanu / Bertrand Gauguet /